L’ingénierie, un métier combien difficile ! C’est un aria sans nom de trouver des contrats. Mais c’est encore pire quand il s’agit de rassembler les moyens humains capables de les mener à bien.
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Le chiffre d’affaires, c’est la vanité. La marge, c’est la santé.
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On perd sur chaque affaire mais on se rattrape sur le total. Une telle affirmation n’est pas si sotte qu’elle ne paraît. Tout comptabilité analytique repose sur des clefs de répartition des frais communs, déterminées ex ante et avec une sage prudence. En résulte un léger mais inévitable écart de bouclage avec la comptabilité générale. Il arrive que cet écart soit le seul à générer le bénéfice annuel.
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Vous préparez une offre pour une Étude sur le développement de la pêche de la crevette d’eau douce en Papouasie. Il vous manque un expert en fabrication de nasses d’osier. Vous appelez une relation susceptible de vous dépanner, vous expliquez votre affaire, l’interlocuteur vous répond qu’à son avis, le problème est mal posé. Raccrochez, il n’est pas du métier. Vous en appelez un autre, recommencez vos explications, il vous interrompt : « Vous voulez le curriculum vitae en anglais ou en papou ? » Vous pouvez y aller : il est du métier.
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Faire toujours par soi-même les choses difficiles. Si elles vont de travers, on peut ne s’en prendre qu’à soi. Si on les a confiées à d’autres, il faut s’en prendre aux autres de leur incompétence, à soi de les avoir choisis. Cela double la malédiction.
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Bien des fonctionnaires ignorent tout des questions de trésorerie. Autant dire qu’ils ne savent rien de l’entreprise.
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Fuyez les gens traînant après eux une aura de drame. Ils sont une grande fatigue, mais la crainte des drames engendre des lâchetés, qui sont encore pires.
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Quand vous travaillez avec des étrangers, tâchez d’en parler la langue au lieu de vous fier à ceux de vos collaborateurs qui la connaissent. La maîtrise des langues et la sûreté de jugement ne vont pas nécessairement de pair.
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La crédulité des financiers, sitôt qu’aguichée par un tour de table, est sans limite.
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Les ingénieurs préfèrent la réalité des faits à la musique des mots. Là réside leur force. Que cette musique pourtant l’emporte dans bien des esprits est aussi un fait. Les ingénieurs l’oublient souvent : de là leur faiblesse.
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S vous voulez changer les choses, appliquez-vous à conserver les mots. Vous effrayerez moins. Il y a sottise au contraire à se flatter de modifier les choses en changeant seulement les mots qui les désignent. Mais c’est tellement plus facile.
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Celui-là est si roide qu’on croirait qu’il a avalé son parapluie. Méfiez-vous de lui, cela ne l’empêchera pas de l’ouvrir sitôt que le grain menacera.
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Dans une compétition, celui qui l’emporte n’est pas nécessairement le plus compétent, mais c’est toujours le premier prêt.
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Dans toute réorganisation, il faut in fine s’occuper d’affecter les secrétaires. On croyait toucher au but, et il reste des montagnes à soulever.
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Si vos services passent une partie importante de leur temps à se disputer sur l’imputation des dépenses, à tenter d’obtenir sournoisement de vous des arbitrages favorables, en oubliant que, de toute façon, les sous sortent de la même caisse, cela marque que votre système budgétaire et comptable est mal conçu. Il incite à rester entre soi au lieu d’aller se battre sur le marché, à préférer les fenêtres sur cour aux fenêtres sur rue.
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Saint Benoît rédigea sa Règle au VIe siècle. Il s’y connaissait en hommes, et savait combien il est difficile de les faire vivre ensemble. À propos du Cellérier, sorte d’intendant du monastère, la Règle dit ceci : Pour cellérier, on choisira parmi la communauté quelqu’un qui soit sage, mûr de caractère, sobre, pas gros mangeur, ni hautain, ni agité, ni malhonnête, ni lent ni prompt à dépenser (…) Si un frère vient à lui demander quelque chose de façon déraisonnable, avec humilité, il refusera à celui qui demande à tort. Avant de nommer un directeur administratif et financier, relisez bien ces recommandations.
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On dit que lorsqu’un vieil homme meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Comme personne n’en consultait plus les ouvrages depuis belle lurette, cela n’a aucune importance.
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N’essayez pas, au nom de la logique, de chambouler ce qui marche bien. Vous risqueriez de tout détraquer. Méfiez-vous aussi de l’Intelligence Artificielle. Sa combinaison avec la bêtise naturelle peut se révéler néfaste.
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Quelqu’un est affecté à votre Service. Préparez son bureau en y affichant son nom. Rien ne facilite mieux une intégration que de donner à l’arrivant le sentiment qu’il est attendu.
Philippe Oblin, Brunoy, le 7 octobre 2020