Dominique de Longevialle, membre de BCEOM-3A et manageur de projets à l’Agence française de développement (AFD), souhaite partager avec les adhérents et les internautes l’hommage rendu par Rémy Roux, Directeur général de l’AFD, à Maria Nowak, ancienne collaboratrice de la Caisse, grande dame du développement qui a travaillé au BDPA puis à la SATEC dans les années 70 et que certains des anciens BCEOM ont peut-être connue.
Hommage à Maria Nowak, décédée le 22 décembre 2022, par Rémy Rioux, Directeur général de l’AFD.
« J’ai le triste regret de vous annoncer la disparition de Maria Nowak le 22 décembre dernier à Paris. Je voulais rendre hommage à notre collègue et rappeler à nous toutes et tous son parcours de vie extraordinaire.
Née en 1935 à Lviv, qui faisait alors partie de la Pologne, Maria Nowak débute sa vie dans la tourmente géopolitique qui gagne l’Europe à la fin des années 30. Vivant la Seconde Guerre mondiale depuis son pays, elle se réfugie en France à 12 ans en quittant son pays en ruine sans parler une autre langue que le polonais. Cette expérience explique surement d’où Maria tirera par la suite sa force colossale et sa volonté farouche.
À l’âge de 21 ans, elle est diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Paris puis de la London School of Economics. À une époque où se voir reconnaître le statut de cadre et la possibilité de partir sur le terrain quand on est une femme relève de l’exploit, elle décide de se rendre à Madina Dian, un village en Guinée, pour une mission de relevés cartographiques. Logée dans une case du village, elle y reste un an et noue une relation forte avec les villageois, expérience qui la marquera à jamais. De retour d’Afrique, elle entre à la Caisse centrale en tant que détachée dans la filiale BDPA (Études), de 1962 à 1967, puis dans une autre filiale de la Caisse, la SATEC (société d’études), où elle devient directrice régionale (Madagascar, Océan indien et Afrique de l’Est). En 1982, elle revient à la Caisse centrale comme Responsable des études, avant de devenir chef de Division des études.
Au fil de ses positions et de son expérience, elle devient une économiste engagée et très impliquée dans les projets de développement, de microfinance en particulier, notamment au Burkina Faso et en Albanie. De sa rencontre avec le Professeur et Prix Nobel de la Paix Muhammad Yunus en 1986, naît la conviction qu’avec de petits prêts, on peut redonner à des hommes et des femmes sans emploi et sans capital, les moyens de prendre confiance en eux et de bâtir leur avenir par la création d’entreprise. Alors Directrice des Politiques et des Recherches à l’AFD, où elle participe à la montée en puissance du pôle de la recherche de l’AFD, elle décide d’approfondir son combat pour le droit à l’initiative économique. Elle décide alors d’appliquer à la France les méthode mises en œuvre par le Professeur Yunus et les techniques de microcrédit de la Grameen Bank du Bangladesh aux pays d’Afrique de l’Ouest. Ce faisant, elle devient une pionnière du microcrédit en France et en Europe, en fondant en 1989 l’Association pour le Droit à l’Initiative Économique (ADIE), dont elle sera la présidente bénévole jusqu’en 2011.
Bien loin de s’arrêter aux frontières de l’Hexagone, elle lance également les premiers programmes de microcrédit en Europe de l’Est lors d’un détachement à la Banque Mondiale en 1991, tout en continuant à diriger l’ADIE à distance. Fondatrice du Centre de la microfinance de l’Europe centrale et orientale (Albanie, Bosnie), elle lance les premiers programmes de microcrédit en Europe de l’Est et travaillera avec le pays qu’elle avait fui 45 ans plus tôt, la Pologne, au lendemain de la Guerre Froide. Elle prend ensuite la présidence d’ADIE International dans le cadre de laquelle elle participe à la création de plusieurs institutions de microfinance : microStart, créé en Belgique avec BNP Paribas Fortis, Taysir en Tunisie et AFI en Grèce. Mais l’ambition de Maria la pousse une nouvelle fois à voir plus grand, et elle fonde et préside deux réseaux de microfinance internationaux : le Centre de la Microfinance (1996) qui couvre l’Europe et l’Asie centrale et le Réseau Européen de la Microfinance (2003) qui couvre les pays membres de l’Union Européenne. En 2000, elle entre au ministère de l’Économie des Finances et de l’Industrie en tant que Conseillère spéciale au cabinet de Laurent Fabius.
Par la suite, Maria devient présidente bénévole de l’ADIE jusqu’en 2011, avant de prendre la présidence d’ADIE International. Jusqu’à l’an dernier, elle consacrait encore beaucoup de son temps à l’ADIE, s’arrêtant d’y travailler à l’âge de 86 ans, il y a un an seulement.
Économiste de formation, Maria portait également l’art d’écrire dans le combat de sa vie, le développement, pour communiquer ses idées. Autrice de plusieurs ouvrages, dont La Banquière de l’espoir et On ne prête (pas) qu’aux riches, ou encore de l’Espoir Économique, elle a reçu de nombreux prix. Elle fut en particulier nommée Docteur honoris causa de l’Université de Louvain, Commandeur de l’Ordre du Mérite et Grand Officier de la Légion d’honneur.
Elle a participé à changer de nombreuses vies et à permettre aux plus faibles de retrouver un moyen de subsistance, et au-delà, une dignité par leur travail. C’est un exemple pour ses enfants, dont certains ont repris le flambeau à l’AFD et pour toute la génération montante de notre maison.
Je citerai pour finir les mots de Muhammad Yunus apprenant sa disparition : « Je suis choqué d’apprendre la nouvelle de la mort soudaine de ma merveilleuse amie de longue date Maria Nowak. […] Il semble que c’était hier qu’elle venait à Dhaka pour voir la Grameen Bank dans les années 1980. Elle a expliqué comment elle avait été subjuguée par l’idée de petits prêts pour les femmes à faible revenu. […] L’idée d’introduire le concept en Europe s’est emparée d’elle. Et c’est exactement ce qu’elle a fait depuis. Sans relâche. […] Elle a su fédérer autour d’elle tout un groupe de passionnés du microcrédit en Europe. Non seulement elle a créé des programmes pratiques de microcrédit robustes, mais elle est aussi devenue une force de changement dans les concepts et les politiques bancaires. Son livre est devenu un incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à changer le destin des pauvres. Maintenant elle n’est plus avec nous. Mais son dévouement à la cause des femmes pauvres continuera d’inspirer le monde entier. Que son âme repose en paix éternelle. Au revoir Maria. Le monde continuera à se souvenir de vous avec beaucoup d’amour et d’admiration ».
J’adresse, au nom de tout le groupe AFD, mes condoléances les plus admiratives et reconnaissantes à sa famille. On est ensemble. »
Rémy Rioux, Directeur Général de l’AFD, Président de l’IDFC
Une messe a été célébrée à la mémoire de Maria Nowak le samedi 14 janvier 2023 en l’église Saint Eustache à Paris.
Dominique de Longevialle, janvier 2023