Philippe Coutheillas est un ancien du BCEOM qui publie ses écrits sur son site www.leblogdes coutheillas.com. Il en extrait pour le site BCEOM-3A quelques textes s’inspirant, de façon romancée, de ses souvenirs au BCEOM.
La Nuit Africaine
En ce temps-là, le Burkina Faso s’appelait Haute-Volta.
Par bonheur, lorsqu’ils ont décidé de changer le nom de ce pauvre pays africain, les hommes politiques d’alors ont conservé les noms magnifiques de leurs deux plus grandes villes, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
L’hôtel RAN, du nom de la Régie des Chemins de Fer Abidjan-Niger, n’était pas le meilleur hôtel de Ouagadougou, mais il avait le charme de ces hôtels coloniaux de deuxième ou troisième catégorie. N’allez pas imaginer des terrasses en bois tropical offrant la vue sur la boucle d’un fleuve où bailleraient des hippopotames ou sur une large vallée brumeuse et verdoyante; n’allez pas vous figurer des salons bien ventilés, remplis de fraicheur et de gros meubles en bois sombre ni des bars en acajou surmontés d’alignements de bouteilles multicolores; ni même des boys nombreux, silencieux et nonchalants, chargés de plateaux portant des verres de formes diverses et remplis de liquides aux tons pastel mélangés et imprécis.
L’hôtel Indépendance lui-même, le meilleur et le seul autre hôtel de la ville, n’était qu’un gros cube rosâtre de quatre étages dans un jardin sans charme, mais apprécié des expatriés pour son restaurant de plein air bien ombragé et sa belle piscine.
Non, le RAN ne sortait pas de Out of Africa. Il était situé en pleine ville, sur la Route Nationale 4 qui mène à Bobo-Dioulasso et qui, à cette époque, était bordée de grands flamboyants. Ces arbres avaient été plantés par les colons cinquante ans auparavant. Dans quelques années, ils seraient abattus par les révolutionnaires en tant que symboles de la colonisation.
On entrait dans le parc de l’hôtel en passant sous un arc de ciment armé portant fièrement peintes en bleu ciel les trois lettres de la compagnie de chemin de fer. Au bout d’une allée en terre battue, on arrivait au bâtiment principal, rectangulaire et de couleur grise, avec un seul étage entouré d’un large balcon.
Au rez-de-chaussée, qui ne comportait aucune porte, on trouvait tout d’abord la réception, avec son carrelage bleu ciel et blanc, son ventilateur de plafond et son bureau derrière lequel était accroché le tableau des clés. Venait ensuite le bar, meublé de ces inconfortables sièges en fil de fer des années cinquante, puis enfin la salle de restaurant, sonore et sinistre. Le tout était d’une propreté luisante du dernier lavage à grande eau. A l’étage, les chambres les plus anciennes, toutes communicantes par le biais du balcon.
Arrivé très tôt le matin par l’avion d’UTA, on m’avait logé dans la partie « motel » du RAN, plus moderne. Elle était constituée de bungalows dispersés dans le jardin, fièrement appelé « parc zoologique » parce qu’il comportait quelques cages contiguës aux bâtiments et renfermant des animaux sauvages de la région. Chaque bungalow abritait deux chambres dont les fenêtres, constituées de lamelles de verre cathédrale orientables, donnaient directement sur les cages. En emménageant en milieu de matinée, j’avais pu voir que « ma » cage abritait deux exemplaires d’un échassier à long et large bec, probablement des marabouts.
Je dînais à l’Indépendance avec les deux autres membres de la mission. La chaleur humide de la nuit était rendue supportable par la très bonne bière de « Bobo », comme on dit quand on a passé plus d’une demi-journée en Haute Volta.
Toute la journée, au contact de l’administration voltaïque et de quelques commerçants et serveurs, j’avais été frappé par la douceur et la gentillesse des habitants de ce pays, en contraste total avec mes expériences précédentes au Tchad et au Cameroun.
Peut-être étais-je aussi en train de devenir un de ces blancs amoureux inconditionnels de l’Afrique ? Non, peu probable, à la réflexion.
Légèrement imbibé de bière, je rentrai seul à pied à l’hôtel.
Une fois passé l’arc d’entrée et disparues les lumières de la route nationale, je me trouvais dans l’obscurité presque totale du jardin à la recherche de mon bungalow. J’avançais dans le noir avec précaution. Je finis par longer un bungalow au-delà duquel je crus reconnaître celui qui abritait ma chambre. Alors que j’étais à mi-distance des deux bâtiments, un rire s’éleva dans mon dos, tout près. C’était un rire terrible, pas joyeux du tout ni moqueur, bien plus que sardonique : démoniaque, terrifiant. Malgré la chaleur, j’avais littéralement froid dans le dos. Quelles pensées m’ont alors traversé l’esprit, je ne saurai le dire. Je crois qu’au bout d’une ou deux secondes, j’ai dû recouvrer mes esprits et chasser l’idée de sorcellerie, si présente en Afrique.
J’ai alors pensé qu’on se moquait de moi, qu’on avait voulu me faire peur et que j’allais découvrir quelques boys hilares, ravis d’avoir terrifié le blanc. Je m’avançais avec assurance dans la direction du rire qui avait cessé et je dis d’une voix que je voulais à la fois ferme et gaie : « Bonsoir, les gars ! »
Le même rire me répond, auquel vient s’ajouter un souffle. A la limite de la panique, je me retourne et marche, sans courir, mais à grands pas rapides, vers la porte du bungalow que je pense être le mien et que j’atteins bras tendu et clé pointée vers l’avant. Par bonheur, elle ouvre la porte sans difficulté.
Le sommeil viendra un peu plus tard, assez rapidement malgré l’adrénaline, grâce à la fatigue et la bière accumulées.
Le lendemain matin, après avoir salué les marabouts qui lorgnent dans ma chambre, je sors de mon bungalow pour aller prendre mon petit déjeuner. En passant à côté du bungalow voisin, je vois, allongée au soleil dans sa cage, une hyène qui ne lèvera même pas la tête pour me regarder passer.
Philippe COUTHEILLAS, janvier 2022
Vos écrits sont très interessants, d’autant plus qu’ils le sont avec style.
J’ai bien connu les Philippines entre 1990 et 2010, donc bien des années après vous et les ai complètement retrouvées à la lecture de votre récit sur cet archipel; preuve que vous avez su en retranscrire parfaitement l’âme, ce côté immuable du pays et de ses habitants car pour le reste, bien des immeubles se sont élevés dans Manille et ailleurs.
Cordialement.
PS: Il me semble avoir reconnu le Chef de Mission dans la description que vous en faites. C’était effectivement un personnage, un baroudeur et très bon chef de mission. Il me semble aussi avoir reconnu l’ingénieur routier, mais là j’ai moins de certitude ayant deux candidats potentiels. Conservons le Mystère.
Bonjour et merci pour ce commentaire sympathique. J’ai éprouvé beaucoup de sympathie pour cet homme que vous avez reconnu sans peine et je garde de lui un excellent souvenir tant d’années après. Pour ce qui est de l’ingénieur routier, que ceux qui ont connu l’homme et que ma description a choqué ou peiné veuille bien m’excuser. J’avoue humblement avoir beaucoup chargé le portrait pour le seul intérêt du récit que j’ai publié dans mon blog il y a plusieurs années.
Que les mêmes, qui ont été encore plus choqués par les fautes d’orthographe contenues dans mon dernier commentaires que par le portrait d’André Ratinet, veuillent bien m’excuser encore une fois et mettre ces erreurs sur le compte de mon empressement à m’excuser, justement.